Aristide Chacgom : « Les riverains doivent toujours être associés aux projets »

Aristide Chacgom : « Les riverains doivent toujours être associés aux projets »

Juriste spécialisé dans les affaires forestières et domaniales, il analyse la multiplication des crises liées au foncier au Cameroun.

Quelle réaction vous inspire l’actualité récente autour des forêts au Cameroun, notamment celle de Ebo dont le décret de classement été suspendu ?
La déclaration rendue publique a deux parties. La première indique que le Premier ministre a signé un décret retirant son décret préalable classant l’une des parties de la forêt d’Ebo. Parce que celle-ci a deux blocs et on avait classé un bloc qui est la 07005. Il y avait la 05006 qui était en attente. Le Pm a donc non seulement a retiré son décret sur la 07005, mais également, il sursoit au classement de l’autre partie. Nous avons travaillé sur Ebo avec un groupe de la société civile. Il y avait notamment Ebo Forest Project du docteur Aboué, chercheur à l’Université de Douala qui travaillait dans la zone depuis des lustres. Ce sont ses travaux qui ont permis la découverte des gorilles spéciaux qu’on retrouve dans la forêt. Des gorilles qui cueillent les termites avec des bâtons. Il n’y a pas deux espèces au monde qui le font. C’est la raison pour laquelle il y a beaucoup de personnes qui se sont levées pour contester le classement de cette forêt.

On a vu que le peuple Banen a exulté…
Oui. C’était la principale revendication de ces populations qui, à cause des violences ou des maquis qui ont eu cours dans cette zone, ont couru pour se réfugier dans des grandes villes et aujourd’hui voudraient rentrer dans leurs espaces coutumiers pour pouvoir vivre. Il faut savoir que selon la règlementation domaniale, la terre appartient à l’Etat. Seulement, cette loi domaniale ne tient pas compte des us et coutumes des populations. Actuellement, moins de 10 % du territoire national est titré. Donc, vous comprendrez que le titre foncier en lui-même est un réel problème. Parce qu’au-delà des certifications que l’on a pu faire, des gens n’ont pas intériorisé la notion du titre foncier. Notamment en milieu rural ou l’utilisation de la terre se chevauche. Dans une même forêt, deux villages pratiquent la chasse sans que tel ne dise que c’est sa forêt. Alors que le titre foncier vient faire une démarcation. Le mode d’utilisation dans un milieu rural ne permet pas d’établir un titre foncier parce que ce dernier fait intervenir le concept de propriété privé. Or, l’utilisation en milieu rural est communautaire.

On a l’impression que ces cas sont légions. Qu’estce qui peut l’expliquer ?
On peut dire qu’il y a plusieurs Ebo. On a 60000 hectares qu’on veut concéder à une autre entreprise par exemple du côté de l’Océan qui est contesté par les populations. Dans l’actualité, on est au courant de la situation dans la Vallée du Ntem. Vous voyez que derrière il y a toujours une contestation. Et c’est parce que quand on effectue ces projets, on ne consulte pas les populations. C’est les populations qui vivent dans leur espace, elles savent ce qu’elles veulent faire de leur espace. La première des choses devrait être de les consulter. Leur demander par exemple : qu’est-ce que vous pensez du projet qui veut s’installer ? Comment trouvez-vous les avantages de ce projet ? Et en ce moment, elles peuvent développer une position, développer des stratégies pour pouvoir tirer meilleur avantage du projet.

Les populations se plaignent des violations de la loi. Avez-vous l’impression que certains textes ont été bafoués dans le cadre de l’exploitation des terres ?
Dans le cas de la vallée du Ntem, il y a eu une déclaration d’utilité publique qui date de 2012. Normalement, la loi de 1987 sur l’indemnisation pour cause d’utilité publique précise que si après deux à trois ans il n’y a pas eu un projet d’utilité publique, la déclaration d’utilité publique devient caduque. Mais vous vous rendez compte qu’ici, il y a eu une déclaration d’utilité publique et c’est pratiquement huit ans plus tard que l’Etat voudrait concéder cet espace. C’est donc dire que manifestement qu’il y a eu violation de la loi.

En principe, lorsqu’un projet arrive quelque part, il est censé profiter aux populations. Comment comprendre ces réticences ?
Si on regarde le niveau de vie des populations autour des projets, c’est plutôt l’entreprise qui se développe. Les populations ne gagnent pas grand-chose. Et même les emplois dont on parle ne sont pas des emplois décents. Ils sont des tâcherons, des ouvriers avec des salaires minables. Il est clair qu’au Cameroun, que ce soit le cacao ou le palmier à huile, il y a un déficit. Parce que l’approche n’est pas la bonne. La chose à faire c’est de booster les plantations qui existent déjà en replantant sur ces espaces-là. Il y a des espaces qui étaient réservés pour la plantation de l’huile de palme sans impacter la biodiversité. Mais, il y a tous ces domaines nationaux qui sont dégradés. L’Etat peut concéder des espaces à des agro-industries mais pas près de 60000 hectares. Les techniques de récolte sont tellement dérisoires que plus de la moitié des récoltes est perdue. Si on pouvait capaciter les petits producteurs aujourd’hui à mieux exploiter leurs petites parcelles, on aura boosté la production nationale sans avoir à déforester.

D’après la loi, comment sont structurés les terres au Cameroun ?
Il existe plusieurs dispositions sur la gestion des espaces au Cameroun. C’est ce qu’on appelle le domaine foncier national. Lui-même est divisé en plusieurs blocs à savoir : le domaine privé de l’Etat ou alors le domaine privé des personnes morales ou physiques ; le domaine public, où on trouve des édifices publics qui appartiennent à tout le monde et géré par l’Etat ; on a le domaine national. Tous les problèmes qu’on a aujourd’hui, c’est sur le domaine national. Ces domaines ont des règles propres à eux. Il y a un décret de 76 qui gère le domaine privé de l’Etat. Et en général, l’Etat, sur son domaine privé peut concéder son espace privé comme sa part dans un projet de développement qui arrive. Il peut affecter son domaine privé à un projet. Le domaine public aussi, l’Etat peut passer par concession. Il y a aussi des modalités de gestion de domaine national.

Dans quels domaines faut-il ranger les cas décriés au regard de l’actualité récente ?
Si on prend le cas de Ebo, l’espace était dans le domaine national et l’Etat voudrait le classer dans le domaine forestier national qui est le domaine privé de l’Etat, sur lequel on peut délivrer un titre foncier au nom de l’Etat de Cameroun. Pour le cas Camvert par exemple, c’est plutôt un déclassement où on quitte du domaine privé vers le domaine national en respectant la règlementation en la matière. L’Etat a la possibilité de classer ou de déclasser une forêt classée dans le domaine privé de l’Etat. On devait classer Ebo dans le domaine privé de l’Etat, mais pour faire l’exploitation forestière. Parce que même dans le cas des aires protégées, c’est un classement dans le domaine privé de l’Etat, mais pour faire la conservation.

Qu’en est-il de la situation de la vallée du Ntem ?
L’Etat en 2012 avait déjà fait des réserves foncières. Il avait déjà classé ces espaces dans son domaine privé. Il y a des titres fonciers parce que ce n’est pas un espace forestier d’un bloc mais plutôt plusieurs blocs. Si le classement d’Ebo était maintenu, l’Etat devait donner une concession sur la ressource forestière à l’entreprise qui devait venir faire l’exploitation qui est un mode gestion du domaine privé de l’Etat. En contrepartie, cette entreprise paye des taxes et des redevances a l’Etat du fait qu’elle gère ces espaces. Il faut aussi savoir qu’il y a le domaine foncier national et le domaine forestier, parce que dans le domaine forestier vous avez des forêts domaniales. C’est elles qui entrent dans ce qu’on appelle forêts permanentes. Il y a une grande catégorie de forêts permanentes dans laquelle on trouve les forêts domaniales. Les forêts communales quant à elle sont des espaces qui ont pour vocation forestière la conservation de la faune et de la biodiversité qu’on ne devrait pas exploiter. C’est sur le domaine national qu’on fait des ventes de coupes à partir des forêts communautaires et des forêts de particuliers. Celleslà font partie des forêts non permanentes que l’Etat, en fonction d’un projet, peut solliciter. L’Etat se donne pour ambition dans sa loi forestière de classer au moins 30% de son domaine forestier national dans le domaine permanent.

Avec les accrochages enregistrés çà et là, la question que l’on peut se poser c’est de savoir si le Cameroun a un problème d’espace…
Le Cameroun n’a pas un problème d’espace. Mais pour une gestion à moyen et long terme, on peut avoir les problèmes d’espace. Le véritable problème n’est pas l’espace mais comment les projets se mettent en place. Parce que malheureusement vous avez des démembrements des ministères dans les régions qui sont comme des faire-valoir. Tout se fait à partir de Yaoundé. Si on est effectivement dans la décentralisation, il faut que les mairies soient impliquées dans le processus de mise en place des entreprises ou de ce types d’initiatives comme Ebo, parce qu’elles sont plus proches des populations et connaissent mieux leurs réalités. Malheureusement ce sont des projets qui se décident très souvent à Yaoundé et les autorités locales ne font que suivre les directives qui viennent de Yaoundé. La contestation vient du fait que les projets sont mis en place sans une réelle consultation et du coup il n’y a pas une appropriation de la part des communautés. Sans cette appropriation, vous mettez votre projet dans un environnement qui vous est hostile. Dans la Vallée du Ntem, certaines élites jouent sur la fibre ethnique alors que le problème n’est pas ethnique ; c’est juste une diversion. Le problème c’est qu’on est en train de mettre un projet dans un environnement où vivent des populations qui ont des pratiques liées à la forêt. A-t-on consulté ces populations ? Les chefs vous disent n’avoir pas été consultés. Les populations savent comment gérer l’espace. Elles savent que si j’ai un hectare, je vais cultiver du cacao sur un demi hectare, et sur l’autre parcelle je vais mettre du manioc, des ananas, etc. Mais quand vous prenez tout un espace, vous donnez à un entrepreneur… Le palmier à huile ne va pas remplacer le maïs ou le manioc. C’est ce type de discussions qu’il faut avoir avec les populations. Pour voir comment sauvegarder leurs intérêts et sauvegarder les intérêts de l’entreprise. L’autre chose c’est que les populations ne sont pas toujours au courant des dispositions légales qui existent. Elles ne connaissent pas leurs droits. Et quand vous discutez avec elles, elles vous disent « On va faire comment ? ». Elles sont des victimes. Certaines élites ne suivent pas toujours la tendance de ce que demandent les populations. Parfois elles édulcorent les réclamations pour leur intérêt égoïste.

Comment faire pour mieux protéger les populations dans le cadre de la mise en valeur des terres par l’Etat ?
Lorsqu’on veut conduire un projet dans une zone il faut consulter les populations du coin. Demander leur avis quant à la valorisation des espaces. Il faut inclure le ministère de l’Agriculture pour voir avec les populations comment elles peuvent elles-mêmes mettre en valeur leurs terres. Il faut remettre en selle les accompagnateurs communautaires. Pourquoi ne pas reproduire ce que Sodecoton fait dans le Septentrion ? C’est une entreprise qui n’a pas de terres, mais qui travaille avec les agriculteurs qui cultivent le coton. Au lieu de donner des espaces à quelqu’un, on peut inciter les populations à produire et l’opérateur qui a son unité de transformation vient et achète ces produits pour aller les transformer. C’est un partenariat gagnant-gagnant. Vous avez la technologie et moi la matière première.

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